Quand les licenciements se font massifs...

Pas très claires, ces coupes sombres !

< mardi 17 avril 2001 >
Chronique

LU, Marks & Spencer... Depuis quelques semaines, les médias ne tarissent pas sur les « coupes sombres » auxquelles viennent de procéder les directions des entreprises susdites. Encore reste-t-on là au-dessous de la triste vérité car, à ce degré de licenciement, c'est pour le moins de « coupes claires » qu'il conviendrait de parler. Est-il besoin de rappeler en effet qu'une coupe sombre, en termes de sylviculture, « consiste à couper çà et là les plus forts arbres du massif d'une forêt, pour diminuer seulement l'épaisseur de la futaie » : si le sous-bois est laissé dans le sombre, c'est bien la preuve que la coupe, simplement destinée à favoriser l'ensemencement naturel, a été de peu d'importance. C'est donc abusivement qu'au sens figuré l'on évoque par cette expression une suppression massive. François Mauriac ne fut pas le dernier à s'y tromper quand il évoqua « les survivants aux coupes sombres de la guerre ». À moins que l'auteur du Nœud de vipères n'ait voulu par là chicaner sur l'ampleur du carnage, ce qui ne lui ressemble guère, c'est bien plutôt aux « coupes claires » qu'il se devait de recourir : ces dernières se révèlent en effet beaucoup plus sévères et radicales que les sombres puisque, comme leur nom l'indique, elles « éclaircissent » la forêt. Remarquons que ce sens d'éclaircir n'est pas vraiment nouveau : avec l'impertinence qu'on lui connaît, Voltaire ne conseillait-il pas en son temps au Régent, Philippe d'Orléans, d'« éclaircir le chiffre du troupeau d'ânes qui paissaient à la cour » ? La confusion entre les deux expressions s'explique du reste aisément : allez faire comprendre que plus claire est la coupe, plus sombre s'annonce l'avenir ! Au demeurant, et quand nous nous ingénierions à faire ici notre travail de chroniqueur du langage, nous ne nous berçons pas d'illusions quant à la vertu de telles considérations sémantiques. Elles ne consoleront pas un gouvernement qui s'est cassé le tronc pour juguler le chômage — Lionel Jospin passait même pour toucher sa bille dans ce domaine — et qui, désormais abattu, craint que ces dégraissages ne soient l'arbre qui cache la forêt... Elles ne réconforteront pas davantage les salariés, remerciés sans autre forme de procès. Peu leur chaut en effet que la coupe soit sombre ou claire : on comprendra qu'elle leur semble surtout pleine...