À l'occasion de la journée de la francophonie

La langue française
sur son petit nuage !

< mardi 20 mars 2001 >
Chronique

Que l'on ne se méprenne pas, surtout : il ne saurait être question de verser ici dans une quelconque euphorie, si revigorante que se veuille, cette semaine, la traditionnelle opération du français comme on l'aime. Avec toute l'autorité que lui confère son mandat de secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, l'ancien ministre et sénateur Jacques Legendre, invité de la Renaissance française au Forum du Furet du Nord ce samedi 24 mars à 14 h 30, aura sans doute beau jeu de démontrer qu'en fait de petits nuages, il en est de gros, et singulièrement menaçants, qui s'amoncellent dans le ciel de moins en moins dégagé de notre langue. Pour notre part, et quand bien même l'entreprise aurait pour principal effet d'en faire tomber quelques-uns des nues, nous voulions seulement souligner par ce titre ce que le terme nuance — à notre humble avis l'un des plus beaux et des plus précieux de la langue française, à juste titre retenu parmi les dix mots de l'année — devait aux nuages en question. Qui s'avise encore, en effet, que cette nuance (du latin nubes, « nue ») eut pour berceau le subtil dégradé de teintes qu'ont de tout temps offert les nuages, selon les heures du jour et l'éclairage changeant du soleil ? De même, mieux vaut ne pas être tombé de la dernière pluie pour deviner que c'est ce même nubes qui est à l'origine de notre adjectif nubile, lequel s'applique, on le sait, à la jeune fille en âge de convoler : rien qui puisse surprendre, pourtant, dès lors que l'on sait que la mariée revêtait, à Rome, un voile jaune et que les nuages étaient considérés, par les Latins, et somme toute assez justement, comme les voiles du ciel... Au reste, la première surprise passée, voilà qui devrait dissuader nos compatriotes de substituer, si l'on ose dire sans crier gare, ce monstrueux et drolatique omnibuler à notre infortuné obnubiler. Avant d'obséder sa victime au point de lui fausser le jugement, celui-ci ne signifie-t-il pas d'abord « couvrir de nuages », de la même façon que le très littéraire obombrer veut dire « couvrir d'ombre » ? Il s'agit bien au fond, à moins que l'on n'y entende goutte, d'obscurcir les facultés de l'esprit, de condamner à ne plus voir la réalité qu'à travers... un voile. Plût au ciel qu'on ne l'oubliât pas de sitôt !