Le dernier tic à la mode

C'est vrai que...

< mardi 3 octobre 2000 >
Chronique

Pour qui veut prendre la température d'une époque, est-il thermomètre plus fiable que le tic de langage ? Celui qui fait florès en cette fin de millénaire, s'impatronisant dans le moindre de nos discours, ne fait certes pas exception à la règle : nous voulons parler (mais nos lecteurs ne nous auront pas attendu pour s'en rendre compte) de l'inévitable c'est vrai que, lequel, dès qu'un micro se tend, inaugure une phrase sur trois. Bien entendu, il s'agit là d'une de ces béquilles de la pensée, dont il serait vain d'attendre un sens précis, et qui n'ont d'autre intérêt que de permettre à celui dont on recueille les impressions — chef d'État, champion olympique ou homme de la rue — de gagner quelques précieux dixièmes de seconde, afin de mieux formuler sa réponse. La preuve en est qu'avec c'est vrai que il ne s'agit pratiquement jamais, en dépit des apparences, d'abonder dans le sens de ce qui aurait été dit auparavant : la plupart du temps, rien n'a été dit auparavant ! En cela, la dernière cheville à la mode ne se distingue pas de ces n'est-ce pas, si vous voulez, voire de ces euh... qui, depuis que le verbe est verbe, jalonnent nos productions orales. Il nous semble pourtant que celle-ci en dit un peu plus long que ses devancières sur l'état d'esprit de nos contemporains : recherche désespérée du consensus ; volonté plus ou moins consciente de se fondre dans la masse ; quête, des plus pathétiques au fond, de l'assentiment d'autrui. Aussi bien, il y a belle lurette que l'on n'attend plus de la personne interrogée des révélations fulgurantes, des prises de position originales : simplement qu'elle fasse la preuve de sa normalité, en dévidant son chapelet d'évidences. Il n'est pas indifférent, en l'espèce, que ce soit c'est vrai que qui ait été choisi, et non il est vrai que. Cette variante, plus orthodoxe pourtant sur le plan grammatical, ne suppose-t-elle pas une concession à l'interlocuteur et donc, si peu que ce soit, une divergence de vues ? C'eût été trop pour notre société avide d'uniformité, où plus une tête ne doit dépasser. C'est vrai que... cela devient préoccupant !