Ne nous faisons pas damer le croupion

Les sot-l'y-laisse sont saufs !

< mardi 15 juin 1999 >
Chronique

Ce n'est pas parce que le poulet essuie un grain que nous allons nous laisser distraire de notre mission première. Abandonnons aux experts de toute plume communiqués alarmistes et mises en garde de la même farine (animale ou non) pour nous intéresser plutôt, en ce qui nous concerne, à la seule part du gallinacé qui vaille sur le plan orthographique : le sot-l'y-laisse cher à Bernard Pivot. Au demeurant, que les gourmets se rassurent, ce morceau délicat entre tous — ainsi nommé parce que suffisamment caché, à proximité du croupion, pour que le « sot l'y laisse » par ignorance — n'a pas été corrompu par la dioxine, pas plus que par les « Rectifications » du Conseil supérieur de la langue française, en 1990 : il est toujours invariable, au même titre que ceux de nos noms composés qui ont pour origine une phrase. On continue à écrire, Dieu des grammairiens merci, des cessez-le-feu, des on-dit, des qu'en-dira-t-on, des m'as-tu-vu, voire des Marie-couche-toi-là. Une invariabilité qui n'est pas sans fondement (surtout dans le cas de notre sot-l'y-laisse !) et que, d'ailleurs, n'avaient pas remise en cause les réformateurs, il y a quelque dix ans. Mais on s'est tellement habitué, depuis lors, à voir fleurir des perce-neiges (Robert) et se dresser des gratte-ciels (Robert encore) que l'on s'attendrait désormais à tout ! Non que nous entendions ici caricaturer la position desdits réformateurs, laquelle n'est pas dénuée de cohérence : on peut légitimement considérer qu'un nom composé n'a plus rien à voir avec le tour syntaxique qui l'a engendré, ce qui conduit à prôner un tire-fesse et des après-midis... Encore faudrait-il que nos dictionnaires accordassent leurs violons : pourquoi des après-soleils (Larousse) et des pare-soleil ? Des abat-jours, des porte-monnaies, pour être toujours hors la loi, se justifieraient-ils moins que les chasse-neiges (Robert) ? Au nom de quoi Larousse, d'ordinaire plus prudent que son concurrent sur ce terrain glissant, impose-t-il des après-skis ? On le voit, la réforme de 1990 n'a fait qu'ajouter à une confusion qu'elle se proposait de dissiper...