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Prologue

« Les chiens aboient, la caravane passe... »
(proverbe arabe)

Prenons au hasard un équipage de vacanciers et transportons-nous dans leur confortable berline un jour de grand départ. L’ambiance est sereine ; le moral stationne au beau fixe, à l’image d’un soleil qui, pour une fois, n’est pas avare de ses rayons. Sur une route carrossable et peu fréquentée, kilomètres et bourgades se succèdent sans histoire. Les récents exploits de la cadette au collège sont oubliés depuis longtemps, au même titre que les factures en tout genre qui se sont amoncelées, comme à plaisir, sur le bureau de Monsieur ces dernières semaines : il sera bien temps d’y songer au retour ! Pour l’heure, chacun fait ses délices de la musique douce que diffuse — sans le moindre parasite — une radio lénifiante à souhait. Jusqu’aux enfants qui, à demi ensevelis sous les bagages de la lunette arrière, s’abstiennent de demander des choses impossibles... Décidément, tout va bien !

Et puis, au détour d’un chemin, c’est le bouchon : trente-cinq voitures au bas mot. Cela ne suffirait pas à entamer la bonne humeur de nos héros (surtout en cette période de l’année où les encombrements sont monnaie courante) si l’on n’apercevait, deux cents mètres plus avant, un minuscule point blanc : une caravane !

Du coup, les passions se déchaînent : Monsieur tapote nerveusement le pourtour de son volant et caresse l’avertisseur du regard ; Madame sort le tricot du sac et s’empêtre bientôt dans ses mailles ; les enfants, avec ce sens de l’à-propos qu’on leur connaît, se demandent à haute voix « si c’est encore loin »... En général, les invectives ne tardent guère à prendre le relais :

Quand on doit traîner pareil tombereau, on reste chez soi !

Non, mais ! Tu ne crois pas qu’il pourrait tenir sa droite, cet enflé ?

Ça et les poids lourds, tu parles d’un plaisir...

— Ces ostrogoths ne se contentent pas de jouer les tortues en trimballant leur bicoque, il faut encore qu’ils en adoptent l’allure !

— Forcément, ça veut tirer une caravane de huit cents kilos avec une pétrolette : pas étonnant qu’ils emm... tout le monde !

Et lorsque (enfin !), une demi-heure plus tard, la voiture arrive à la hauteur de l’indésirable, c’est à coup sûr l’immanquable réplique :

C’est la première fois que tu sors ta roulotte, espèce de romanichel ?

 

Tendus, hagards, l’œil rivé sur la pente qui les tourmente, les caravaniers demeurent stoïques sous la tempête. S’ils savaient, ces « jeunes fous », ce que M. Duroc, sa femme et son fils ont enduré depuis le départ, ils auraient le bec cloué une fois pour toutes !

Vous aussi, ami lecteur, vous en viendrez à des sentiments plus charitables quand nous vous aurons conté leur destinée exemplaire. Puisse cette singulière épopée vous inciter, en effet, à plaindre les caravaniers plutôt qu’à les blâmer !

 
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