La ponctuation

Oh ! que si, cher Monsieur ! Car si vos vœux se réalisaient, ce que vous écririez alors n’aurait plus de sens que pour vous. La ponctuation n’est pas seulement une affaire de style (ce qui, soit dit en passant, serait déjà considérable), elle ne donne pas seulement son rythme à la phrase, elle en est aussi la logique. Un texte non ponctué est un texte illisible. Un texte mal ponctué est un texte que l’on risque de mal interpréter, ce qui, en un sens, est plus grave encore. Et sans aller jusqu’à donner raison à ce provocateur de Gustave Flaubert, lequel n’hésitait pas en son temps à affirmer que « la plus belle femme du monde ne valait pas une virgule mise à sa place », force est de reconnaître qu’elle est indispensable à la bonne compréhension du message.

En voulez-vous une preuve, parmi une infinité d’autres ? Comparez ces deux phrases, presque identiques : « Les enfants qui ont été sages seront récompensés » et « Les enfants, qui ont été sages, seront récompensés ».

La seule différence, vous le constatez, réside dans ces deux virgules qui, au sein de la seconde phrase, encadrent la proposition subordonnée relative. Eh bien, il suffit de ces deux malheureuses virgules pour bouleverser le sens de la phrase en question. Dans ce second cas, en effet, tous les enfants ont été sages et tous sont en droit de recevoir une récompense. Dans le premier, seuls ceux qui ont été sages — et, visiblement, ce ne fut pas le cas de tout le monde ! — seront récompensés. Et vous prétendez que la ponctuation ne sert à rien ? Elle vous permet déjà d’économiser des bonbons...

Cela dit, et pour redevenir sérieux, il est parfaitement compréhensible que l’usager renâcle à la seule idée de devoir soigner la ponctuation : ce que nous faisons pour ainsi dire instinctivement à l’oral, par le biais notamment des pauses, de l’intonation, quelquefois même de nos mimiques, nous devons tout à coup le traduire sur le papier au moyen de signes qui ne nous sont pas toujours familiers. Mais le jeu en vaut la chandelle, car, encore une fois, une ponctuation sûre est le meilleur moyen de ne pas voir sa pensée trahie. À ce titre, elle est aussi cruciale que l’orthographe et la grammaire, et peut-être même plus. Ne dit-on pas, fût-ce dans un tout autre sens : « Un point, c’est tout » ? Faisons-en notre philosophie chaque fois que nous écrivons ! Et prêtons une oreille plus qu’attentive aux conseils qui vont nous être donnés maintenant...

 

Évidemment, tout ce qui vient de vous être dit, et qui peut paraître un peu rigide, est susceptible d’assouplissements : la ponctuation de l’un n’est jamais tout à fait la ponctuation de l’autre, surtout (et pourquoi ne serait-ce pas un jour votre cas ?) dès que l’on quitte le boulevard de l’écriture utilitaire pour les sentiers escarpés de la littérature et de la création. Tel écrivain ponctuera ses textes plus que de raison, tel autre n’y aura recours qu’avec parcimonie, ce troisième boycottera l’usage du point-virgule. Les poètes du XXe siècle, Guillaume Apollinaire et les surréalistes en tête, ont mis un point d’honneur à ne jamais en user dans certains de leurs textes : ils y voyaient en effet la marque de la raison triomphante, peu compatible selon eux avec ce flou que se doit d’entretenir la poésie, ne serait-ce que pour favoriser la libre interprétation du lecteur. Mais ce sont là des cas bien particuliers, des exceptions qui confirment puissamment les règles que nous venons de vous rappeler. Pour transgresser la norme, ne faut-il pas déjà que cette norme existe ?

Bien sûr, on nous objectera qu’à l’instar de l’orthographe la ponctuation n’a pas toujours existé : les Grecs de l’époque classique ne la connaissaient pas, et il arrivait même que, dans leurs écrits, les mots ne fussent pas séparés les uns des autres ! Il a fallu attendre le IXe siècle pour que l’on commence à en faire usage, et l’invention de l’imprimerie, au XVIe, pour qu’on la respecte avec une certaine régularité. Il n’est pas moins vrai que la philosophie de la ponctuation a, au cours des siècles, sensiblement évolué : on n’hésitait pas, hier (j’entends par là chez nos auteurs classiques), à user de virgules dites de respiration, par référence au rythme oral qui a tendance à multiplier les pauses ; est-ce notre époque cartésienne qui veut cela, on est aujourd’hui beaucoup plus soucieux de la logique de la phrase, et l’on hésite de plus en plus à séparer un groupe sujet, fût-il particulièrement long, de son verbe.

Mais ce n’est pas parce que l’esclavage a un jour existé qu’il faut bouder son abolition. Ce rappel d’ordre historique ne saurait nous distraire de l’essentiel : la ponctuation constitue un réel progrès, que nous devons avoir à cœur de consolider. Elle est ce fil d’Ariane que nous confions à notre destinataire pour qu’il ne s’égare pas dans le labyrinthe de notre pensée. Veillons à ce qu’il ne casse jamais !

 

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